835 km à 8.5 km/h de moyenne: entre combativité et émerveillement

Huancavelica (01.09.17) – Huaraz (01.10.17)

835 kilomètres dont 800 sur piste, 16 cols à plus de 4000 mètres (dont 9 à plus de 4800m), 20’000 mètres de dénivelé positif, le tout en 98 heures de selle (18 jours) à la vitesse moyenne supersonique de… 8.5 km/h! Soyons clairs dès le début, nous n’avons pas réinventé la roue de vélo: ce magnifique itinéraire, qui relie Huancavelica à Conococha, nous vient de deux Britanniques qui partagent généreusement leurs itinéraires andins sur le site andesbybike.com. L’altitude, l’état des pistes, le nombre de cols, la beauté des paysages et la gentillesse des Péruviens en font un tracé incontournable pour tout cyclonaute qui se respecte. C’est donc gonflés à bloc que nous quittons Huancavelica, prêts à affronter une météo hasardeuse, les pistes caillouteuses (ou la désagréable impression de faire parfois du patin à roulettes sur des balles de golf…), les nombreuses heures à se battre sur la « petite plaque », entre pédalage en force et moulinage effréné…

Mais au final la traversée se passe sans encombre! Certes, il aura fallu pousser nos bicyclettes de 40 kilos durant une paire d’heures pour passer la Punta Pumacocha (4980m), avec comme conséquence directe un bivouac-thon-nouilles chinoises improvisé dans la descente à 4440 mètres. Certes, la journée complète de pluie entre Marcapomacocha et Chungar (6h30 de vélo entre 4450 et 4820m) a quelque peu ébranlé notre moral. Et puis ces sept jours d’affilée sans douche à partir de Tanta n’ont pas aidé à garder la fraîcheur nécessaire à ce genre d’exercice… Mais la rudesse de l’effort et notre existence spartiate décuplent nos perceptions: les paysages sont encore plus impressionnants que d’habitude et la générosité des habitants nous touche beaucoup. A San Juan de Jerusalen, nous recevons des patates cuites, de l’avoine et on nous ouvre l’école, afin que nous puissions dormir tranquillement. A la mine Don Mario, le repas de midi nous est gracieusement offert. Et puis rebelotte à la mine de Chanca: gîte et couvert offerts alors que dehors il pleut à faire fuir un Ecossais. A Marcapomacocha, nous rencontrons des géologues d’Arequipa, qui nous invitent à venir manger des truites dans leur quartier. Envoyés par leur boîte faire de la prospection en vue d’ouvrir une énième mine dans la région, ils passent tous les dimanches après-midi à cuisiner, et ça tombe bien, nous sommes justement dimanche! Les discussions vont bon train! Quel plaisir de pouvoir à nouveau discuter d’égal à égal d’économie, de politique ou encore de géographie! En effet, dans ces régions reculées, la population est malheureusement encore trop peu cultivée, parfois mal éduquée (nombreux déchets dans la nature, crachats en pleine rue) mais dans la grande majorité des cas bienveillante, accueillante et sympathique. Souvent, ils ne savent pas qu’il y a un océan entre leur continent et l’Europe. Une fois, on nous a demandé où se situe la Suisse en Amérique du Sud… Du coup, les discussions se cantonnent à des sujets basiques, très terre à terre. Enfin à Rajan, nous rencontrons Dominga et Modesto (74 ans) qui bricolent un peu dans leur jardin potager. On papote un peu, puis Modesto me fait venir voir son jardin et nous repartons… avec des salades, des oignons nouveaux et une botte de coriandre!

Et puis une fois n’est pas coutume, c’est à notre tour de donner un coup de main à un Péruvien. Dans la montée de la Punta Ushuayca (4930m), à 15h, nous nous posons à 4550 mètres dans l’idée de ne plus lever le p’tit doigt, de boire un maté, bref de se reposer… C’est juste après la « douche » et le thé qu’arrivent Enrique (27 ans) et ses trois chiens. Un de ses moutons est mort dans l’après-midi (intoxication alimentaire) et il a besoin d’aide pour le ramener à la ferme. On monte donc à pied plus de 200 mètres avec ses chiens, une corde et un de ses chevaux. L’idée est de ficeler le mouton sur la selle du cheval. La tâche est ardue car le mouton, qui pèse bien dans les 50 kilos, a déjà bien gonflé. On lui fait donc un trou dans le ventre au couteau suisse (mmmmh je me réjouis de le tremper dans le pot de miel pour le petit déj’) pour qu’il dégonfle, bonjour l’odeur! La descente est fastidieuse, mais se déroule sans encombre. Nous parlons un peu de nos vies respectives, il s’intéresse beaucoup à notre voyage et à ce qui nous pousse à faire une chose pareille (ici on ne se déplace que par nécessité). Nous nous intéressons également à son mode de vie et la précarité qui en découle. Son quotidien nous paraît bien rude, ainsi que les perspectives d’avenir qui restent très limitées dans ces régions montagnardes. Enrique a signé un contrat d’une année pour garder les quelques 400 moutons appartenant à son village. Il vit donc seul à 4550 mètres dans sa hutte de paille à deux heures de route de son village, cuisine au bois, se lave dans la lagune, reçoit deux fois par semaine de la nourriture grâce au colectivo qui passe par-là et touche 20 soles par jour (6 CHF). Enrique rêve d’Argentine, car il a des amis « là-bas », pour une vie plus prospère, sans rien savoir de ce pays… Nous apprenons encore qu’un mouton vaut environ 300 soles (90 CHF), une vache 1000 soles et un cheval entre 900 et 1000 soles. Les adieux sont émouvants, il nous sort que sans nous, il ne serait arrivé à rien… De notre côté, nous méditons silencieusement sur les énormes différences d’existences sur Terre, tout en étant conscients qu’Enrique ne manque fondamentalement de rien, et que certains peuples se battent quotidiennement pour leur survie…

Oyón, petite ville nichée au pied de trois mines, n’est rien d’autre qu’un trou. Mais elle nous apparaît comme une ville dynamique, avec ses restaurants, ses boulangeries, sa banque, ses commerces… C’est fou comme un cycliste amaigri a sa propre perception des choses! Et puis nous avons surtout le plaisir de retrouver Jérémy et Madeleine (abicycletteautourdumonde.wordpress.com), des amis cyclistes déjà rencontrés à La Paz puis à Cusco. Après une journée de pause, nous reprenons la piste ensemble, avec Huaraz en ligne de mire. Au programme, un col à 4850 mètres suivi d’une descente de 3500 mètres (!) et d’une remontée de 3000 mètres, dans laquelle nous nous faisons joliment « adrétiser » (fait de cuire sur un versant ensoleillé)! … La Cordillera Huayhuash se fait désirer, mais au fil de notre remontée, les cimes se dévoilent peu à peu, d’abord de manière timide, puis c’est dans toute sa splendeur que la chaîne dévoile ses pics abrupts! Le Yerupajá (6617m) et le fameux Siula Grande (6344m), rendu célèbre par la douloureuse descente de Joe Simpson et Simon Yates en 1985 (à lire dans La Mort suspendue), nous font forte impression!

Huaraz enfin! Grâce aux Cordilleras Blanca et Huayhuash, Huaraz jouit d’une renommée internationale dans le monde de la montagne. Pour notre santé mentale, Huaraz représente surtout un jalon de première importance, car nos têtes réclament un découpage des étapes régulier et motivant, afin de ne pas péter un câble face à la grandeur du continent et des pays traversés. Nous élisons le très apprécié et appréciable hostal Monkeywasi comme camp de base, à l’ambiance hétéroclite (grimpeurs, artistes, backpackers et cyclistes) avec comme toile de fond reggae et marijuana, bref de quoi vraiment se détendre… Le programme, comme lors de chaque pause prolongée, reste invariablement le même: nous passons notre temps à manger (avec un fier record à la clef: à quatre, nous ingurgitons un gratin dauphinois composé de 3kg de patates!), à se reposer, à prendre des nouvelles de nos proches, à bichonner nos montures et à planifier la suite. Nous profitons aussi un minimum de la Cordillera Blanca avec une tentative au Vallunaraju (5686m) et une balade-orage-neige-tente à la Laguna 69.

Et au matin du 1er octobre, Reto et Sylvie débarquent à Huaraz pour 3 semaines de vélo, avec comme fil conducteur Huaraz-Cajamarca-Chachapoyas. Avec Sarah, on espère qu’ils arriveront avec toutes leurs affaires, car entre les deux vols et les 8h de bus, le trajet s’annonce périlleux d’un point de vue « bagages spéciaux ». Qu’elle n’est pas ma surprise alors, lorsque j’arrive au terminal de bus, de ne trouver que les deux vélos! Ha ha tellement improbable! Mais l’explication est simple, trois bus arrivent ce matin en provenance de Lima. Les bicyclettes étaient dans le premier, les amis dans le troisième! Les retrouvailles vont bon train, et la fondue vacherin clôt à merveille ce chapitre! Affaire à suivre… auf Deutsch bitte!

Votre cyclopathe | 30 octobre 2017 | Vilcabamba | Kilómetro 16’030

Bivouac urbain à l’école de San Juan de Jerusalen.
Avec des pourcentages entre 9 et 10% sur de la piste, la montée de l’Abra Turpo (4800m) n’est pas de tout repos (ha ha) et il faut pousser à plusieurs reprises! Le bivouac à l’intérieur d’une courbe à 4070m nous permettra de reprendre des forces dans une ambiance particulièrement électrique…
Les hauts plateaux version péruvienne (4500m), nous sommes seuls face à l’immensité de la nature, de quoi m’arracher une larme…
… avant de rempiler pour une côte de plus!
Un fin ruban coupe la montagne (ils sont tarés ces ingénieurs péruviens!), ce sera le début d’une rude bataille (1h45 pour 5km) pour passer la Punta Pumacocha (4980m).
Depuis le fin ruban précité, avec la laguna Carcuna.
Et ça continue avec la laguna Huarmijarula. Peut-être voyez-vous Sarah?
Dégradé d’horizons, plein Nord.
Punta Pumacocha (4980m), probablement le col le plus fou que j’aie jamais fait à vélo…
La descente, très sympathique aussi…! C’est parti pour 2000 mètres!
L’état de la piste et l’heure avancée nous obligent à un bivouac-thon-nouilles chinoises improvisé à 4440m.
Un col, c’est le point de passage le moins haut d’une crête entre deux versants de montagne. Rien à redire, la Punta Pumacocha respecte la définition. J’espère que vous saurez apprécier le tracé de la piste (ils sont tarés!)…
« Andages » (par analogie à « alpages »…) péruviens.
Un coin de paradis de plus sur cette Terre.
Cultures en terrasses, au pied du village de Vitis.
Entre Tinco et Vilca, nous remontons le rio Cañete et ses nombreuses lagunes au sein de la réserve naturelle Nor Yauyos Cochas. Une eau claire, de nombreuses truites, …
… un enchevêtrement de rivières, lacs…
… et cascades de toute beauté!
A la sortie du village de Vilca, nous avons le plaisir de rouler un petit tronçon en single trail! Malheureusement trop court… et dans une année, il y aura ici une route carrossable…
Sous les yeux du Che, le pauvre lama s’est une fois de plus tout pris dans le c.. Oui, la journée fut humide!
Match de volley au sommet (4270m) sur la place du village de Tanta.
Fermes à truites et Cordillera Pariacaca.
Hameau à 4500 mètres, quand la rudesse du quotidien n’a d’égal que la beauté du paysage.
Quand les vigognes se mettent en valeur pour la pose…
Gros cailloux, piste raide, altitude et chargement, le quatuor gagnant qui nous fait parfois descendre du vélo…
Filtrer l’eau est l’une des tâches les plus ch… à faire. Heureusement ça ne nous arrive pas trop souvent, et dans un cadre aussi grandiose, ça motive!
Bivouac à 4550m dans la montée de la Punta Ushuayca. Au fond de la plaine à gauche, vous devinerez le toit de la bergerie d’Enrique.
Dans la montée de la Punta Ushuayca avec le Paqcha (~5500m) en arrière-plan.
Punta Ushuayca, 4930m. Le second versant du col, une découverte hautement appréciée des cyclistes.
Les truites des géologues d’Arequipa, la soirée s’annonce excellente!
Laguna Gallo Huaganan, 4700m.
Punta Fierro Cruz (4820m), beau temps belle neige et bonne humeur!
Ambiance lugubre au lac Yanahuin, où nous passerons la nuit dans le hameau abandonné de Chungar.
Joli spot de camping à 4500m, histoire de couper en deux la montée de la Punta Chucopampa.
Descente à flanc de coteau sur Picoy.
Spectacle géologique dans la raide montée de Rapaz.
Église de Rapaz, avec les commères du village 😉 Plus tard dans la soirée, deux enfants viendront voir ce que l’on cuisine. En désignant le pot de moutarde, ils demandent qu’est-ce que c’est? Je leur en donne donc un peu sur le bout de l’index, mais ça ne leur plaît pas du tout!
Altitude 4960, c’est parti pour 1300m de descente sur Oyón!
No adelantar – ne pas dépasser. Quand le bon sens ne suffit pas…
Les paysages au départ d’Oyón nous comblent de joie, et le temps maussade rajoute du piment!
Serait-ce la fin du monde?
Magnifique ambiance à la Punta Chanca (4850m). La descente promet d’être humide! Photo Jérémy.
Avec les mineurs de Chanca, à l’heure du départ. Quand hospitalité rime avec spontanéité!
La Huayhuash fait sa première apparition…
Cajatambo a bien choisi son emplacement, seul replat propice aux cultures dans une descente de plus de 3000 mètres!
Plongeon vertigineux vers Cañon, qui porte bien son nom!
Ça descend tout seul! Photo Madeleine.
A 1300 mètres, nous nous attendions à voir une végétation luxuriante, à suffoquer sous une forte humidité. C’est tout le contraire qui s’offre à nous, un paysage sec et minéral, accompagné d’un fort vent thermique. Pour la première fois depuis des lustres, les sacs de couchage restent sur les vélos!
La remontée sur Rajan est de toute beauté, mais quelle chaleur!
Sinueuse à souhait, la piste permet de nous élever lentement mais sûrement…
Pérou, terre de contrastes! La Cordillera Huayhuash avec au centre le Yerupajá (6617m). Photo Jérémy.
La Cordillera Blanca pointe le bout de son nez, ça sent la fin d’une belle balade! Photo Jérémy.
A gauche, la Cordillera Blanca sort timidement du brouillard. Sous ce dernier, la laguna Conococha rate un sacré spectacle!
Ambiance feutrée au Vallunaraju.
Sarah tout sourire malgré l’altitude!

8 commentaires sur “835 km à 8.5 km/h de moyenne: entre combativité et émerveillement

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  1. MERCI de mettre de l’aventure dans nos têtes avec vos passionnants récits ! Entre deux cols, ne manquez pas de consulter http://www.festivelo.ch, qui rassemblera ce week-end à Lausanne des voyageurs qui, comme vous, en connaissent un rayon ! Je vous embrasse bien fort. Barbara

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  2. waouhhh! Que dire … J’avoue que je ne trouve pas vraiment les mots pour dire ce que je ressens en vous lisant … Durant la lecture de cet article, j’ai voyagé un court instant avec vous.. À travers vous, j’ai pris le temps de découvrir ce pays que je ne connais pas, je prends conscience de cette immensité qui nous entoure… Rien qu’en regardant les photos, je me sens toute minuscule, un grain de stable parlais tant d’autres… Je comprends à quel point ce que vous vivez est fort, unique… Tant de richesses, tant de rudesses dans ce périple … Je suis fière de vous, je vous aime et surtout je me réjouis de vous retrouver …
    Léa

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  3. L’immensité de ce monde …. mais je reste toujours pantoise quant aux performances physiques qu’il vous faut ….. Plein de pensées vers vous
    Françoise et James

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  4. Je voyage avec vous, comme les autres lecteurs. J’avoue que je n’avais plu lu le blog depuis un moment et la je viens de tomber de ma chaise pour me retrouver dans ces grandieux paysages avec vous. Buona continuazione dal Ticino!

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  5. Hey! Plus de single track en sortant de Vilca! La route est déjà faite, belle et bonne, mais moins charmante que le sentier qui la procédait, c’est sûr..! On pense souvent à vous. On est à Cuzco et on continue sur vos traces. .!

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