Casse-tête colombien

Riohacha (31.01.18) – Bogotá (27.02.18)

Les vacances sont finies! Léa et Audrey rentrent en Suisse. Pour nous, le retour en Europe approche aussi à grands pas mais il nous reste encore un petit mois en Colombie avant de nous envoler le 27 février, à destination de … Milan! L’objectif de ces prochains jours: se faire plaisir sur de jolies petites routes de montagne! Et oui, le plat on a donné, le chaud aussi…

Nous quittons donc les plaines torrides du Nord en bus et nous réveillons le 3 février au pied de la cordillère Orientale, à Bucaramanga. Avec la fraîcheur relative, la curiosité des locaux revient, pour notre plus grand plaisir. Une fois n’est pas coutume, nous prenons contact avec un warmshower. Pour les initiés du vélo, le terme est clair. Pour tous les autres, un warmshower est une personne qui accepte d’accueillir gratuitement les cyclistes et de leur offrir une douche chaude et un toit pour la nuit. Mais Diego accueille déjà deux Français ce soir-là. A la place, nous passons une bonne partie de notre séjour en sa compagnie. Végétarien et cycliste engagé, il lui tient à cœur de partager ses passions et espère changer les mentalités colombiennes avec ses actions: la promotion du sport et de l’alimentation saine.

Bien reposés, nos intestins remis, nous quittons Bucaramanga la socquette légère en direction de San Gil, Mecque des sports extrêmes, à un jour et demi de route. De là, nous rejoindrons l’itinéraire « Oh! Boyacá » décrit sur l’incontournable site bikepacking.com. Cette route approche les 5000 de la chaîne d’El Cocuy et traverse de nombreux páramos, ces fameux biotopes tropicaux d’altitude, pour 14 jours de pur plaisir en altitude.

En arrivant à San Gil, nous sommes vite happés par la buena onda de l’auberge du Papillon. Tenu par Sylvain, un Chaux-de-Fonnier installé ici depuis 8 ans, l’endroit attire tous les francophones du coin, pour une ambiance de camp de vacances décontractée. Tous ici ne parlent que de rafting, vol en parapente ou saut à l’élastique avec enthousiasme. Aussi, alors que nous pensions n’y rester qu’une nuit, nous craquons pour un peu d’aventures et réservons une sortie rafting sur les ríos Fonce et Suarez, l’occasion de faire travailler nos bras dans les rapides sous les ordres d’Eduardo.

Le lendemain, la parenthèse est refermée et nous nous préparons à lever le camp quand Sylvain débarque et nous annonce que l’ELN (Ejército de Liberación Nacional) va faire des siennes. L’ELN? Si dans nos contrées lointaines, seuls les FARC jouissent d’une certaine notoriété, en Colombie d’autres groupes armés font parler d’eux, dont l’ELN, une autre guérilla, d’idéologie marxiste-léniniste. Lors de sa formation en 1964, elle visait une prise du pouvoir à la Che Guevara et l’instauration d’un gouvernement démocratique et populaire. Actuellement, la guérilla compte entre 1500 et 2000 combattants disséminés dans plusieurs régions de la Colombie. Après avoir signé en 2016 un accord de paix historique avec les FARC, les autorités colombiennes ont entamé des discussions similaires avec l’ELN, qui courent encore aujourd’hui. Alors que le cinquième cycle de négociations pour la paix devait commencer à Quito le 31 janvier, l’ELN a revendiqué plusieurs attentats le week-end du 27 et 28 janvier 2018 lors desquels sept policiers ont trouvé la mort et une quarantaine ont été blessés. En réponse, les autorités ont décidé de geler les discussions. Ce matin, la nouvelle vient de tomber, livrée sur la table du déjeuner: insatisfaite, l’ELN annonce qu’elle organise un paro armado (grève armée) de niveau national du samedi 10 à 6h jusqu’au lundi 13 février à 6h…

Pour nous, ça ne rime à rien mais l’inquiétude de notre Chaux-de-Fonnier et l’horaire sérieusement suisse de la grève n’est pas pour nous encourager. Personne ne sait vraiment ce qu’il va se passer, ni où, mais la dernière fois il y a eu des morts… Nous sommes le 8 février. Si nous prenons la route, nous nous retrouverons au milieu de nul part le 10. Nous décidons donc de repousser notre départ de 24 heures pour obtenir quelques informations supplémentaires … qui ne viennent pas. L’ELN annonce seulement que pour le bien de tous, il vaudrait mieux ne pas se déplacer pendant la grève et prendre du temps en famille pour discuter de la situation… A l’auberge, tous s’organisent. Il y a ceux qui partent avant et ceux qui décident de rester jusqu’au 13. Nous, nous repoussons de 24 heures encore… qui se transforment en 72 heures… Alors que nous organisons balade à Barichara avec Steven, grillades et bonnes bouffes avec nos copains de l’auberge, l’ELN dynamite deux ponts et deux péages, incendie des bus et des camions… Cependant, aucune victime civile n’est à déclarer.

Cette plongée directe dans l’histoire récente de la Colombie et les quelques jours d’attente nous invitent à googler un peu. En ressort une impression mitigée, comme si on ne nous avait pas tout dit. Finalement comme souvent, on se rend compte que personne n’est tout blanc ou tout noir… Entre guérilleros, paramilitaires, narcotrafiquants et politiciens, l’affaire est sacrément emberlificotée.

Finalement, nous décollons le 12 février, le paro se termine demain matin à 6 heures mais l’itinéraire prévu jusqu’à Mogotes ne comporte aucun danger. Après cette pause imposée, je me sens revivre! Pour la suite nous verrons bien, car si la grève armée est officiellement terminée, les autorités, elles, n’ont pas l’intention de les laisser s’en tirer si facilement. Vaudrait donc mieux ne pas se retrouver au milieu de toute cette affaire. Comme nous avons perdu pas mal de temps, nous renonçons à la première partie de l’itinéraire, soit Onzaga-El Cocuy-Chita-Belén, et décidons de rejoindre directement Belén depuis Onzaga. Pourtant en arrivant dans ce joli village de montagne, nous apprenons que les bus ne circulent plus, des affrontements entre ELN et forces armées auraient éclaté là-haut dans les páramos. Nous changeons nos plans et partons en direction de Soatá, comme prévu au départ. S’ensuit un véritable casse-tête organisationnel. Au cours des prochains jours, il nous faut:

  • mener des enquêtes de voisinage
  • questionner les policiers et interpréter leurs avertissements
  • lire la presse colombienne
  • recalculer les jours restants
  • adapter l’itinéraire
  • retourner chez les flics
  • rouler jusqu’au prochain bled et recommencer!

De fil en aiguille, de col en col, nous découvrons les jolies routes de Santander et Boyacá. Soatá, Boavita, La Uvita, Guacamayas, Panqueba sont autant de charmants villages croisés en chemin. Coloniaux, ils ont en commun leur imposante église, leur place pleine de vie et la gentillesse de leurs habitants. Nichés au cœur des montagnes, les préoccupations du reste de la Colombie semblent bien loin. Ici les coups de feu n’annoncent aucune attaque des guérillas mais appellent les cavaliers du coin à rejoindre la fête du village. En quatre jours nous atteignons El Cocuy, au pied de la chaîne et du parc national du même nom. Pourtant les sommets sont encore invisibles. Aussi nous partons tôt le lendemain. L’air vif nous pique le nez, ça faisait longtemps. Sans sacoche, nous montons efficacement jusqu’à un mirador, à l’entrée du parc. Les nuages nous ont pris de vitesse mais la vue reste incroyable… Le bien que ça nous fait de nous retrouver tout petit au pied de ces 5000 enneigés. Le púlpito del diablo (tribune du diable), un immense cube de roches entouré de glace, retient particulièrement notre attention. Jaime, le jeune garde-parc, nous raconte plus tard qu’il doit son nom au phénomène étonnant qu’à aucun instant il n’est couvert de neige…

Nous quittons El Cocuy pour Chita. Entre deux, notre dernier col à plus de 4000 mètres nous offre une ultime vue panoramique sur la chaîne. Nous profitons encore des derniers frailejones que nous verrons avant un bon bout de temps et redescendons. A Chita, l’ambiance a bien changé, les policiers se sont barricadés derrière des sacs de sable et la population est moins avenante.

En trois jours, nous rejoignons Tunja, d’où nous prendrons le bus pour Bogotá. Arrivés tôt en ville, nous avons encore le temps de jouer aux touristes et filer en bus à Villa de Leyva, un bourg colonial d’inspiration andalouse très bien conservé.

Bogotá, trois jours occupés à préparer nos bagages et flâner dans le quartier de la Candelaria. Et déjà nous sommes à l’aéroport. Pas de regret, nous avons profité au maximum et rentrons avec des anecdotes et des souvenirs plein la tête. Comme nous n’avons pas pris l’avion depuis longtemps, j’ai l’impression de partir en vacances! 😉

Sarah | 16 avril 2018 | Champex | Kilómetro 20’495

A Bucaramanga, Diego nous entraîne dans une tournée des restaurants végétariens. Ici le Coco y Vegetales, où nous découvrons la pizza aux fruits confits. Tellement différent de ce que nous connaissons que nous trouvons ça presque bon!
De Bucaramanga, nous commençons par descendre dans le canyon de Chicamocha, pour mieux le remonter… Véritable fournaise, la montre indique 38 degrés à l’ombre, 46 au soleil… Long de 227 kilomètres, nous croiserons son chemin encore deux fois dans les semaines à venir.
En attendant que le paro armado (grève armée) passe, nous nous rendons à Barichara, un charmant village de la région de Santander. Selon la légende, un paysan du coin vit apparaître la Vierge sur un rocher, entraînant la ferveur des habitants voisins. 50 ans plus tard, les premières pierres de la cathédrale de l’Immaculée Conception furent posées à l’endroit décrit et la ville de Barichara vit le jour.
Si le village impressionne aujourd’hui par ses paisibles ruelles, il comptait environ 12’000 habitants en 1850.
En compagnie de Steven, un français rencontré à l’auberge du Papillon, nous gambadons jusqu’à Guane. Ce village fondé sous le nom de Móncora par les indigènes, fut pris et rebaptisé par les Espagnols au XVIIe siècle. Ces derniers réunissaient les autochtones ici afin de les endoctriner.
Sur la route de Soatá, nous rencontrons ce sympathique cavalier à l’accent soutenu des montagnes. Après un cours échange, chacun enfourche sa monture et repart dans des directions opposées.
Dernier bivouac de notre voyage dans la tranquille vallée de Chaguaca. Notre réchaud rend définitivement l’âme ce soir. Heureusement nous ne sommes pas seuls. Louise et Dennis, un couple germano-suédois nous tient compagnie et nous sauve de la famine. Le couscous pas cuit, ça ne fait pas rêver!
Une petite route bucolique vers 3000 mètres qui nous rappelle nos forêts.
A Soatá vers midi, il nous faut redéfinir la suite du programme. Sur conseils des policiers et des habitants, nous traversons le canyon de Chicamocha une deuxième fois et nous enfonçons dans les montagnes visibles au fond.
Après un jour et demi de route ensemble, nous laissons Louise et Dennis à Soatá. Les maux de ventre de Louise les obligent à s’arrêter un peu et récupérer des forces pour descendre jusqu’à Ushuaia.
La cathédrale de Soatá.
Dans la descente, les arbres couverts de mousse espagnole forment une haie d’honneur pour Arthur.
Le fleuve Chicamocha, tranquille dans son canyon, ne se préoccupe pas du tout des efforts qu’il inflige aux cyclistes de passage. Heureusement l’intéressante géologie des lieux et la présence des urubus à tête rouge nous occupent dans notre lente remontée.
A Boavita, les arbres en fleurs nous rappellent que le printemps approche à grands pas chez nous. Le soir, pourtant, c’est un orage très estival qui éclate. Nous arrivons trempés dans l’obscurité d’un restaurant vénézuélien coupé d’électricité, mais vite ragaillardis par la gentillesse de la patronne et les spécialités de la maison. La famille a quitté le Vénézuela il y a trois mois et essaye de se reconstruire un avenir ici.
Les montagnes colombiennes sont couvertes de cultures qui ne laissent que peu de place à la nature sauvage.
El Cocuy, un village montagnard très harmonieux. Toutes les bâtisses sont peintes des mêmes couleurs.
Sur la place, on trouve une maquette du parc national d’El Cocuy. Principale attraction touristique du lieu, il n’est aujourd’hui plus possible de le visiter sans guide pour éviter les dommages environnementaux causés par un tourisme de masse peu respectueux.
Une fois n’est pas coutume, nous laissons nos sacoches à l’hôtel et partons légèrement sur les hauteurs d’El Cocuy, à la découverte des sommets enneigés du parc.
Nous sommes malheureusement trop lents et arrivés en haut, une grande partie de la chaîne se trouve déjà dans les nuages. Pas grave, nous aurons revu de la neige et le surprenant púlpito del diablo (tribune du diable), qui tient son nom du fait que jamais la neige ne s’y accumule.
Nous poursuivons notre balade jusqu’à Güican, traversant des paysages préalpins vers 3000 mètres.
Un cadre paisible pour les habitants de Güican.
En fin d’après-midi, les habitants sortent leur poncho et profitent des dernières heures de soleil dans les rues d’El Cocuy.
En quittant El Cocuy en direction du col menant à Chita, nous avons plus de chance que la veille et pouvons voir les pics enneigés. La chaîne compte 15 sommets à plus de 5000 mètres. A gauche, le Ritacuba Blanco, à 5330m, est le point culminant.
A mesure que nous montons, les frailejones regagnent du terrain. Le col n’est plus si loin!
4125 mètres, nous y sommes! Quel plaisir de voir que le dernier vrai col de notre voyage est aussi majestueux et bien entouré. Nous nous en souviendrons!
Chacun apprécie la descente à son rythme. Arthur à fond les ballons…
… moi tout tranquillement!
Stabilité précaire!
A côté de l’entrée de notre hôtel à Chita, les policiers se sont barricadés derrière des sacs de sable. Réelle menace ou précaution exagérée?
Dans le département de Boyacá, l’agriculture tient une place importante. Aussi chaque surface cultivable est mise à profit de l’économie.
Impressionnantes formations rocheuses.
Scène de vie quotidienne dans la région.
Et on reprend de la hauteur! La montée agréablement constante nous emmène vers Jericó.
Jericó, fondé en 1851, tient son nom, choisi par l’évêque, de Jéricho, première ville conquise par les Israéliens en Terre promise. L’église, elle, ne date que de 1969.
Après la montée, nous craquons pour un nombre impressionnant de pasteles (boulettes de purée fourrées et frites) et empanadas, mais n’aidons pas à surélever la pile des cageots de bières. La route est encore longue!
Le même après-midi, changement de décor! Les mines de charbon et les hommes noircis font leur apparition avant Socha. Terrain de prédilection des Verts aux prochaines élections?
Petite pause au soleil!
Les camions sont légion dans la région et laissent les routes dans un sale état.
Si l’accès est plus difficile, le transport des matériaux extraits des mines se fait par câble. Ici, jusqu’à la ville de Paz de Río.
Surprenante fresque rencontrée peu avant Belén.
Arrivés tôt à Duitama, nous nous installons face à la cathédrale San Lorenzo et observons la vie, les gens qui passent et le soleil qui décline, un petit maté en main.
Dernière visite touristique sur la route: Villa de Leyva. Ici l’église del Carmen.
Le village colonial attire les touristes en nombre pour son impressionnante place pavée qui couvre 14’000 m2, l’une des plus grande de Colombie.
Deux éléphants dans un magasin de porcelaine! Un grand merci María pour ton hospitalité!
A Bogotá, nous ne pouvions pas passer à côté du fameux musée de l’Or. Les pièces précolombiennes exposées sont tout simplement magnifiques.
En ce dimanche après-midi, la place Bolívar attire Colombiens et touristes de tous horizons dans une ambiance décontractée…
Idem.
Jolis patios, balcons soignés, murs peints à la chaux sont l’apanage du quartier historique de la Candelaria. Ici la Casa de la Moneda.
Il fait bon déambuler dans ces ruelles où la pierre jaune est omniprésente. Malheureusement je n’en ai pas trouvé l’origine. Ici le théâtre Colón construit en 1885 par l’architecte italien Pietro Cantini…
… le collège de San Bartolome…
…. la garde royale, prise en flagrant délit de désertion! Mais non ce n’est que le changement!
Notre coup de cœur artistique colombien restera Botero et ses œuvres aux formes généreuses!
Logés chez María, la sœur de Raúl, un ami de la famille, nous avons le privilège de surplomber la ville et profiter de magnifiques couchers de soleil.
Les vélos sont prêts pour leur grand voyage du retour!

Un commentaire sur “Casse-tête colombien

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  1. Félicitations à vous deux pour vos aventures sud Américaine.
    Vous les finissez en beauté.
    Merci pour nous avoir bercé de vos textes et photos.
    20 mois se sont écoulés. Ce n’est pas rien. Comment reprendre le rythme européen ?
    J’espère que vous avez pu vous passer d’un psy.
    Il y a toujours de la neige en Ubaye. Si ça vous tente.
    Au plaisir de vous revoir.

    Amitiés
    René

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