Acumulación de nieve 

San Antonio de los Cobres (25.05.17) – San Pedro de Atacama (03.06.17)

San Antonio de los Cobres est une ancienne ville minière d’apparence froide, au propre comme au figuré. Nous passons quatre jours à nous geler les fesses dans ce trou situé au fond d’une cuvette à 3750 mètres, la faute à une grosse fatigue d’une part, à une puissante diarrhée pour l’un de nous (dont nous tairons l’idendité…) et surtout à l’arrivée précoce de l’hiver! Heureusement, la fête de la Révolution pour l’Indépendance, le 25 mai et une pure fondue fribourgeoise improvisée en pleine rue nous réchauffent le cœur et les tripes! Mais la préoccupation première reste l’état du paso Sico, route internationale qui permet de traverser les Andes. Actuellement fermée pour accumulation de neige, cette piste oscille entre 3900 et 4580 mètres sur plus de 250 kilomètres. Nous prenons donc notre mal en patience, en multipliant les milanesas (sorte de tranches panées vachement bonnes!) de bœuf, poulet et lama, tout en s’informant jour après jour de l’état de la route. Entre la police, l’armée et la douane, les informations sont terriblement divergentes. En plus il faut faire abstractions des commentaires inutiles, du genre: « ah non à vélo pas possible de passer par là, trop dangereux », ou alors « on ne connaît pas les prévisions météorologiques, seul Dieu là-haut est au courant! ». Bref, je ne sais plus quel couillon nous a dit un soir au téléphone que le col allait ouvrir dans trois jours, mais cela a suffi à nous gonfler à bloc pour le grand départ, celui où on a l’impression que rien ne nous arrêtera! Comme il nous faut deux jours pour atteindre la douane et la neige, on laisse couler un jour de plus, histoire que le beau temps et mes intestins (hé oui c’était moi!) soient aussi de la fête! 

Malgré le froid, le vent de face et la neige, nous passons deux jours de rêve, à plus de 4000 mètres, quasiment seuls sur la route. En arrivant à la douane argentine, il n’y a pas besoin d’être bien malin pour réaliser qu’elle est toujours fermée. Même le douanier argentin en faction l’a compris. Perspicace, il nous fait savoir que le col va réouvrir, peut-être demain, peut-être dans une semaine, peut-être dans un mois. En fait, il n’en sait rien. Par contre, il nous met un appartement à disposition pour la nuit, appartement dont nous connaissions l’existence grâce aux récits d’autres cyclistes. A part une dizaine de douaniers argentins au chômage technique et trois blaireaux à bicyclettes, il y a aussi deux pauvres douaniers chiliens bloqués là depuis une semaine. Plus réalistes, ils nous informent qu’aucun chasse-neige ne travaille actuellement sur le Sico, car ils sont tous à pied-d’œuvre sur le paso Jama. Le Jama! Je l’avais jusque-là délibérément dénigré, car asphalté, donc plus de trafic, donc moins aventureux, donc pas digne d’être roulé, CQFD. Et bien sûr aussi, car tant de cyclonautes nous avaient vanté la beauté chilienne du Sico, versant qui nous restera interdit! Et à l’heure où j’écris ces lignes, quelques 25 jours plus tard, le Sico revêt toujours sa robe blanche de neige immaculée… Heureusement, il y a une petite route qui permet de transiter du Sico au Jama, sans devoir redescendre en plaine, 3000 mètres plus bas. En quittant la douane, je verse une larme, rapidement absorbée par ma barbe et séchée par le vent. Le rêve du Sico s’évapore, dommage que la neige ne daigne pas en faire autant… 

En arrivant à Catua, nous sommes immédiatement envoûtés par la buena onda des villageois, qui nous questionnent tout sourire sur notre périple. À l’administration communale, nous trouvons Vilma, charmante à souhait, qui détient les clés de l’unique hospedaje du village, glacial à souhait. Quand on lui demande s’il n’y aurait pas un lieu plus chaleureux pour passer l’après-midi, elle nous emmène chez sa sœur Guadalupe. Avec son mari Sirilo, ils ont l’habitude d’accueillir les touristes de passage, car Vilma les « apporte » toujours à sa sœur. Nous passons une agréable fin de journée à discuter, jouer aux cartes et manger avec une partie de la famille (ils ont 10 enfants et au moins 8 petits-enfants!) dans la cuisine, seule pièce chauffée (au bois!) de cette grande maison sise à 4000 mètres. Le lendemain, c’est l’anniversaire d’une de leur fille et pour marquer le coup, un cabri a déjà été apprêté. Tout naturellement, ils nous invitent à partager le dîner avec eux. Nous acceptons avec joie, mais n’avons plus de quoi payer une deuxième nuit à l’hospedaje, car nous ne pensions pas jouer les prolongations en Argentine. Nous avons bien des dollars américains ou des pesos chiliens sur nous, mais ça ne semble pas trop les intéresser. Moins embarrassée que nous, Guadalupe nous met deux chambres à disposition pour une deuxième nuit, et nous convie pour le petit-déjeuner du lendemain! Et voilà qu’à midi nous sommes tous attablés autour du cabri… sauf la principale intéressée qui finit l’école à 14 heures! Mais cela semble normal par ici. Quand elle rentrera de l’école, du cabri il ne restera que la peau, étendue sur la corde à linge, avec les pincettes… à linge!

La tête remplie de bons souvenirs et la panse bien tendue, nous nous mettons en route pour le paso Jama, succession de trois cols à 4410, 4830 et 4820 mètres! Avant d’arriver au village éponyme, une nuit de camping sauvage s’impose, car la route est encore longue. En cherchant un « coin » à l’abri du vent, nous tombons sur une épave d’autocar, ce sera le spot parfait! C’est dans cette ambiance Into the Wild que nous nous affairons à monter les tentes, faire à manger, se laver à l’aide de quelques décilitres d’eau, préparer les Thermos pour le lendemain… Il ne s’agit pas de traîner, car une fois le soleil couché, il faut en faire autant. En effet, la chute des températures est presque aussi violente qu’une chute à vélo! Nous finissons la vaisselle à l’ombre, ce qui me vaudra 4-5 doigts insensibles pour un moment. Demain je serai au linge, pas à l’éponge! Les moins 11 degrés à l’intérieur de la tente ne nous empêcheront pas de bien dormir, mais quand même, je suis assez content d’avoir investi dans un bon sac de couchage! De temps à autre, j’entends Robin qui remue sur son matelas qui couine, signe qu’il vit toujours! Sarah par contre, juste à côté de moi, dort si paisiblement dans les bras de Morphée (il est exclu que je sorte les miens du sac!), que je ne l’entends même pas respirer! Confiant dans les plumes qui l’entourent, je me retourne pour chercher le sommeil. Mais comme la condensation à l’intérieur de la tente a bien évidemment gelé, et bien quand je me retourne un peu brusquement, un mini nuage de givre vient me lécher le visage…

Jama, enfin! En temps normal, c’est un petit village paisible posé à 4100 mètres, à quelques kilomètres de la frontière chilienne. Aujourd’hui c’est différent: à l’instar du Sico, le Jama a lui aussi été fermé quelques jours au traffic et du coup, c’est une longue colonne d’une centaine de camions, telle un mille-pattes, qui nous accueille! La quasi-totalité des poids-lourds sont paraguayens et roulent… à vide! Ils font chaque semaine l’aller-retour jusqu’à Iquique, ville portuaire chilienne, soit quelques 4000 kilomètres. De là, ils ramènent principalement des voitures produites au Japon (environ 5000 par mois) et toutes sortes d’objets hecho en China. N’ayant pas d’accès direct à la mer, mais seulement un fleuve navigable côté Atlantique (tiens, ça me rappelle un pays ça!), le Paraguay semble être bien dépendant de ses poids-lourds et du paso Jama afin de profiter de l’industrie asiatique! Prenant leur mal en patience, les chauffeurs s’installent au bord de la route, sortent leur réchaud et profitent du soleil pour casser la croûte. Finalement ils sont comme nous des nomades, toujours en route, loin de chez eux. Seules les raisons sont différentes… 

A la douane, cette fois, nous ne passons pas pour trois débiles venant se fourrer dans un cul-de-sac, le col est ouvert! Nous calculons deux jours et demi pour rejoindre San Pedro de Atacama. Seules les prévisions météorologiques nous inquiètent un peu, car un fort vent est annoncé ainsi qu’une dégradation pour le deuxième jour. Le vent souffle invariablement d’ouest en est par ici, et nous allons à l’ouest… Après une fraîche nuit entre le premier et le deuxième col, il s’agit d’enquiller les kilomètres. Afin de pouvoir partir tôt, nous déjeunons dans nos sacs de couchage, bien avant le levé du soleil… Que du bonheur! 

D’habitude, le vent nous laisse un peu de répit en début de journée. Aujourd’hui, il en est autrement. Ce salaud d’Eole aurait pu choisir un autre jour pour faire des heures supplémentaires. Nous nous battons vaillamment, nous nous relayons régulièrement pour garder un maximum de fraîcheur, mais plus le temps passe, plus le vent forcit. Arrive l’inéluctable, le moment où à 4500 mètres, nous mettons pied à terre. Par principe, nous faisons encore quelques hectomètres à pied, mais il faut se faire à l’idée, nous ne passerons pas aujourd’hui. Le vent, la déclivité, l’altitude et le froid se sont sacrément bien alliés contre nous. Et le fait qu’aucun véhicule ne soit encore passé alors qu’il est près de midi sème le doute dans nos esprits: le col est-il bien ouvert? Il nous restait 60 kilomètres de difficulté avant de pouvoir redescendre de ce balcon andin…

Demi-tour donc, nous bouffons l’asphalte à plus de 50 km/h, quand soudain un pick-up chilien nous dépasse, puis deux, puis trois… À nos grands signes ce dernier s’arrête, deux Argentins jovials (pléonasme?) en sortent et nous demandent si tout va bien. Le col est donc bien ouvert! Après courte concertation, nous leur demandons s’ils peuvent nous ramener à Jama, histoire d’aller pleurnicher auprès des camionneurs paraguayens. Retour à la case départ, nous nous mettons à faire du camion-stop (il n’y a quasiment aucune voiture particulière). Comme les cabines n’ont que trois places, Robin embarque avec deux Paraguayens à la première opportunité, Sarah et moi pouvons lui emboîter la remorque quelques 20 minutes plus tard. A défaut de pouvoir passer le col à vélo, nous avons l’impression de passer une paire d’heures au Paraguay, grâce aux discussions qui vont bon train avec notre chauffeur. Nous troquons le vent et le froid contre un peu d’exotisme…

En arrivant à San Pedro, 2000 mètres plus bas, j’ai le moral dans les chaussettes, qui me tiennent à présent trop chaud! Certes, nous sommes du bon côté des Andes, la finalité est atteinte. Mais les regrets du Sico sont encore là et le Jama n’est pas passé avec la manière! Pire encore, le col du Hito Cajón, porte d’entrée pour le Sud Lipez (Bolivie) et sa fameuse route des lagunes sont complètement enneigés! Un deuxième rêve se volatilise en l’espace d’une semaine… M’enfin, maintenant il s’agit de profiter de San Pedro, de planifier une nouvelle route pour remonter en Bolivie et qui sait, peut-être pourrons-nous parcourir les lagunes en sens inverse, du nord au sud!? Dans tous les cas, on se réjouit de découvrir un nouveau pays, après 8 mois passés à slalomer entre le Chili et l’Argentine! Próxima estación: Bolivia!!

Arthur | 23 juin 2017 | Potosi | Kilómetro 11’260

Le jour de la fête de la Révolution pour l’Indépendance argentine, nous fêtons notre liberté à nous dans les rues de San Antonio!
Ouvrage d’art achevé en 1932, le viaduc de la Polvorilla est l’emblème de la ligne Salta-Antofagasta. Longueur 224m, hauteur 64m, altitude 4200m, tonnage 1590to.
Un peu de couleur dans ce village morne, ça fait du bien!
Todo bien!
Pour un prix exorbitant, le tren a las nubes emmène les touristes au viaduc de la Polvorilla depuis San Antonio (environ 50 km aller-retour). La ligne entre Salta et San Antonio n’est actuellement ouverte qu’au trafic de marchandises, la concession n’a pas été renouvelée pour les passagers, il faudrait sécuriser un peu plus la ligne…
Rien de tel qu’un peu d’élévation pour pouvoir apprécier de nouvelles perspectives! A l’horizon, le Nevado de Acay et ses 5750 mètres.
Enfin un peu d’action, nous montons tout feu tout flamme le col de Chorrillo!
Butch Cassidy et Sundance Kid fin prêts pour la prochaine banque! Mais il faudra faire de la place dans les sacoches!
Plus on se rapproche du Chili et de la Cordillère, plus la neige est abondante…
Mélange de terre, boue, neige et glace sur la piste.
Au petit matin, nous quittons le village à moitié abandonné d’Olacapato.
La Puna dans toute sa splendeur!
Et au détour d’un virage, c’est tout le salar del Rincon qui s’ouvre à nous!
Au loin, le Chili avec ses perturbations, sa neige et son fameux viento blanco qui terrorise les locaux… Ça sent mauvais…
La douane argentine du paso Sico, synonyme de cul-de-sac!
Plaine du rio Catua, la chaleur humaine est au bout de la route!
Sur le fil à linge (vous remarquerez la pincette!), la cabrita semble nous faire de l’œil…
Avec Sirilo (à droite) et son gendre Albano, à l’heure de déguster l’asado en l’honneur des 16 ans de Micaela. En hiver, tout se passe dans la cuisine, seule pièce chauffée de la maison…
Guadalupe et Sirilo nous font l’honneur d’une excursion sur leurs terres. Au programme, balade dans des formations géologiques bien particulières, formées par le vent et l’eau, dont les fameuses tinas (sorte de gros bassin), dans lesquelles meurent parfois leurs chèvres.
Guadalupe et Sirilo avec leur fille Silvia (l’aînée des 10 enfants, suivront 8 filles et un garçon!). A droite, Albano, le mari de Silvia.
Adiós Catua (4000m), nous quittons cette oasis de bonheur la tête heureuse et l’estomac reconnaissant!
A l’assaut d’une bosse de 4515 mètres, passage obligé pour atteindre Jama.
Au carrefour avec la route principale, nous trouvons l’eau nécessaire à notre nuit de camping sauvage dans le puit sur ma gauche. La boîte de conserve fait office de seau.
Into the Wild! Seuls au monde à 4150 mètres, ou presque: les -11 degrés Celsius s’imposeront d’eux-mêmes comme compagnons nocturnes…
Arrivée au village de Jama. Les camionneurs paraguayens trompent l’ennui en se cuisinant leur tambouille sur les remorques. Plus de cent camions font le pied de grue face à l’indolence administrative des douaniers… Tous ne passeront pas aujourd’hui.
De l’autre côté du village, même constat!
Laguna Quisquiro, 4190 mètres. On a connu pire paysage pour bivouaquer!
Toujours au même endroit…
Après avoir rendu les armes, dans la montée du col principal du Jama (4830m), à bord d’un des nombreux camions paraguayens.
Le Licancabur (5919m), stratovolcan emblématique situé sur la frontière bolivo-chilienne.
Les Chiliens n’ont pas fait dans le détail: de San Pedro de Atacama, une rampe de 47km monte vers les Andes. 2300m de dénivelé sans un seul virage! Certains camions montent poussivement à 10km/h. A la descente, les pistes d’urgence sont disposées à intervalle régulier. Notre chauffeur se signe au passage de l’une d’elles, puis nous confie qu’il a perdu un copain ici il y a quelques mois… Au loin, l’oasis de San Pedro!

2 commentaires sur “Acumulación de nieve 

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  1. Le vélo en col blanc, c’est pas votre truc on dirait ! mais votre devise « il faut le voir pour le croire » nous offre un reportage photographique fantastique ! et hop, ça repart ! Je vous embrasse. Barbara

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  2. bonjour, bonjour les « petits » Suisse,

    ce n’est pas parce qu’on ne laisse pas de commentaires qu’on ne lit pas vos péripéties.
    Mais pour ce dernier, je fais un effort car c’est hors du commun. Plus haut que le Mont Blanc à vélo, ça n’arrive pas tous les jours. Toutes nos félicitations.
    Bravo pour votre endurance et le sourire permanent sur les clichés.
    Merci pour tous vos reportages, très bien écris et avec des photos …… sublimes.
    Ca me donne envie de prendre ma retraite et de partir. Mais quand j’y serai (à la retraite), je n’aurai plus le peps pour faire ça. Bientôt un an que vous êtes passés à Jausiers. Un an de routine pour nous et de merveilleux souvenirs pour vous.

    On vous souhaite une très bonne continuation dans vos pérégrinations.
    Au plaisir de vous revoir.

    René

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